Lise Pressac Non classé Aurais-je été meilleur ou pire que ces gens… ?

Aurais-je été meilleur ou pire que ces gens… ?

Prenez 80 Messieurs et Mesdames Tout le Monde, mettez-les sur un plateau télé, demandez-leur d’envoyer jusqu’à 460 volts à un autre Monsieur Tout le Monde s’il répond mal aux questions posées et voyez s’ils obéissent ou non.

81% d’entre eux n’hésitent pas à actionner les manettes à balancer du jus, simplement parce que Tania Young le leur a demandé.

Le but n’est pas de montrer à quel point l’homme peut-être cruel envers ses semblables mais bien de dire que nous nous soumettons à la télé comme si elle était une autorité aussi reconnue que les juges, les policiers, nos profs, nos patrons, nos parents…

L’objectif est atteint, et même surpassé. Le producteur du « Jeu de la mort » Christophe Nick lui-même ne s’attendait pas à un tel résultat.

[Lors d’une expérience similaire menée par Stanley Milgram entre 1961 et 1963 pour comprendre la soumission aux ordres des fonctionnaires nazis 62% des cobayes avaient obéi]

Au début ils hésitent, rient nerveusement, implorent Tania du regard. Mais continuent.

Ils sont désolés, disent ne pas avoir le choix, font ça involontairement.

Les cris de la personne qui reçoit les décharges (un comédien qui fait semblant de souffrir) n’y feront rien. La majorité n’hésitera pas à infliger un choc dangereux au « questionné » qui donne de mauvaises réponses.

Seuls 16 « cobayes » désobéiront.

Conclusion : demain la télévision peut organiser la mise à mort d’un individu comme divertissement. Flippant.

Et forcément se pose la question de savoir si on aurait été meilleur ou pire que ces gens si on avait été allemand [référence à Jean-Jacques Goldman dans « Né en 17 à Leidenstadt »] ou seulement sur ce plateau de télé poussé à infliger des décharges électriques à quelqu’un.

Sommes-nous tous dans un « état agentique » sans le savoir : a priori autonomes mais prêts à mettre un mouchoir sur nos valeurs à partir du moment où une autorité nous demande de lui obéir ?

Quant à imaginer que cette autorité puisse être le petit écran…

Le documentaire nous apprend que nous passons 14 ans devant la télévision, contre 9 ans au travail. Regarder la télé serait la 2ème activité après le sommeil.

Pas étonnant, conclut le documentaire, que l’on adhère alors aux valeurs qu’elle diffuse à travers les émissions de téléréalité cruelles, sadiques et humiliantes.

Je ne crois pas que le problème soit la télé mais plutôt notre capacité à nous résigner, à accepter l’inacceptable, à agir en bons petits soldats.

La raison : la solitude, l’isolement.

L’une des raisons pour lesquelles les cobayes de l’expérience ont obéi est qu’ils étaient livrés à eux-mêmes, sans personne pour les conseiller, les aider, les soutenir.

Comme la femme de ménage intérimaire baladée d’entreprise en entreprise pour une ou deux heures de travail par-ci par-là et qui ne revient pas prendre son service le lendemain sans que personne ne s’en émeuve. [Je viens de finir le livre de Florence Aubenas « Le quai de Ouistreham »]

Pas question de se rebeller : un travail, quel qu’il soit, est trop précieux. Il faut baisser la tête et encaisser.

A plusieurs plus facile de résister, à l’image de ces dizaines de sans-papiers qui ont réussi à faire plier leur patron qui voulait les employer en tant qu’auto-entrepreneurs, statut plus avantageux pour lui. Ils ont protesté et obtenu la promesse d’un CDI qui pourrait leur permettre de demander leur régularisation.

Alors oui mon raisonnement peut paraître naïf et limite pathétique mais « l’union fait la force ».

C’est ma grand-mère qui me l’a appris.

Elle devait en partie sa vie à des gens qui ont eu le courage de désobéir.

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